Par Frédéric Pavesi
Initialement, l'écologie est la science qui étudie les relations des êtres vivants entre eux et avec leur environnement. Dans un contexte professionnel, l'écologie renvoie à la compréhension des liens dynamiques et des interdépendances entre les différentes composantes d'une organisation et son environnement externe. Il s'agit d'analyser comment chaque élément – individu, équipe, département, technologie, culture, stratégie – influence et est influencé par les autres, créant ainsi un équilibre (ou un déséquilibre) global. C'est reconnaître que l’organisation n'est pas une machine isolée, mais un organisme vivant qui respire, s'adapte et interagit avec son milieu.
Dans le monde professionnel, une organisation est un système au sens large : ses départements sont des sous-systèmes, ses employés des éléments, les informations et ressources des intrants, les produits ou services des extrants. Comprendre une organisation comme un système, c'est reconnaître que modifier une partie peut avoir des répercussions inattendues sur l'ensemble. Les organisations sont des constructions humaines visant à maximiser l'efficacité collective. La manière dont une organisation est conçue, gérée et adaptée à son environnement détermine sa capacité à prospérer ou à décliner.
L'expression "écologie du système dans une organisation" désigne une approche holistique de la gestion et du développement organisationnel. Il s'agit de considérer l'entreprise non pas comme une simple somme de ses parties, mais comme un écosystème où chaque composante interagit avec les autres et avec son environnement, influençant la santé et la performance globale.
Il faut reconnaître que tout est lié. Un simple changement dans un département, une nouvelle politique de ressources humaines ou une innovation technologique peut avoir des répercussions sur l'ensemble de l'organisation. De plus, l'adaptabilité et la résilience sont primordiales. À l'image des écosystèmes naturels qui évoluent face aux changements climatiques, une organisation se doit d'être capable de s'ajuster rapidement aux perturbations externes, qu'il s'agisse de crises, d'innovations ou de changements sociaux, ou internes, comme des restructurations ou le départ de collaborateurs clés.
Notons aussi, que la diversité et l'inclusivité, tout comme la biodiversité, renforcent les écosystèmes, enrichissent la capacité de l'organisation à résoudre des problèmes complexes et à innover, à condition que celles-ci soient pleinement valorisées. Par ailleurs, la culture d'entreprise est le "sol" sur lequel l'écosystème se développe. Une culture de confiance, d'autonomie, de feedback et d'apprentissage continu est propice à une écologie saine, à l'inverse d'une culture de peur ou de contrôle excessif qui l'étouffe.
Ainsi, plutôt qu'un leadership centralisé, l'écologie organisationnelle privilégie un leadership distribué et partagé, où la capacité d'influence se propage à tous les niveaux, favorisant ainsi l'agilité et l'engagement.
Etat des lieux en 2025
En 2025, le concept d'écologie du système organisationnel est plus pertinent que jamais, face aux défis complexes du monde contemporain. Mais où en sommes-nous au regard des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies ?
Concernant le Travail décent et la croissance économique, de nombreuses organisations ont pris conscience de l'importance des salaires équitables et de conditions de travail décentes. Néanmoins, l'Organisation Internationale du Travail (OIT) rapporte que les inégalités persistent, avec des salaires réels en baisse ou stagnants dans de nombreux pays. Les entreprises écologiquement conscientes sont donc appelées à redoubler d'efforts pour réduire les disparités salariales internes et à s'assurer de la responsabilité de leurs chaînes d'approvisionnement.
Pour ce qui est de la Bonne santé et du bien-être, le bien-être des employés est devenu une priorité suite à la pandémie de 2020. Les initiatives en matière de santé mentale et de flexibilité du travail se multiplient, mais le stress et l'épuisement professionnel demeurent des défis majeurs, avec un impact humain et économique considérable, comme le soulignent les études de l'OMS.
En ce qui concerne l'Éducation de qualité, la formation continue est considérée comme cruciale pour l'adaptabilité. Les investissements dans l'apprentissage en ligne et les programmes de montée en compétences sont courants, mais l'accès inégal à ces formations et la difficulté à anticiper les besoins futurs en matière de compétences restent des obstacles.
S'agissant de l'Égalité entre les sexes et de la réduction des inégalités, les progrès sont notables. Cependant, le "plafond de verre" persiste aux postes de direction, et les inégalités salariales sont toujours une réalité dans de nombreux secteurs, comme le confirment les rapports du Forum Économique Mondial.
L'innovation est également au cœur de la compétitivité. Les organisations investissent massivement dans la recherche et le développement, la transformation numérique et les infrastructures résilientes. Toutefois, l'intégration éthique des nouvelles technologies et la cybersécurité représentent des défis croissants qui nécessitent une vigilance constante.
Finalement, la pression pour des pratiques durables s'intensifie, poussée par les consommateurs et les régulateurs. De plus en plus d'entreprises adoptent des stratégies d'économie circulaire et réduisent leurs émissions de carbone. Néanmoins, les rapports du GIEC continuent de lancer l'alerte sur l'urgence climatique, et la plupart des entreprises peinent encore à décarboner significativement leurs opérations. Les efforts sont là, mais l'échelle reste insuffisante.
Quant à la gouvernance et aux partenariats, l'éthique, la transparence et la lutte contre la corruption s'améliorent. Les partenariats entre différents acteurs se multiplient pour résoudre des problèmes complexes. Cependant, la confiance du public envers les institutions et les grandes entreprises reste fragile, et la collaboration intersectorielle n'est pas toujours fluide.
Globalement, les organisations en 2025 sont plus conscientes de leur rôle dans l'écosystème global. Les concepts de RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) et d'impact positif sont mieux intégrés. Cependant, la transition d'une approche réactive à une véritable écologie proactive et régénératrice est encore en cours. La transformation est souvent freinée par la culture d'entreprise, les impératifs de court terme et une vision systémique à long terme encore immature.
Malgré la prise de conscience, de nombreuses organisations abordent les défis de manière fragmentée, traitant les problèmes environnementaux séparément des enjeux sociaux ou de gouvernance, sans percevoir les interconnexions systémiques et en manquant cruellement d’une vision holistique. Les structures hiérarchiques rigides et les cultures d'entreprise basées sur le contrôle plutôt que sur la confiance freinent l'émergence d'une intelligence collective et d'une adaptabilité naturelle et génère ainsi une grande résistance au changement.
Un leadership transformatif qui comprend et incarne les principes de l'écologie systémique est encore trop rare. La priorité est souvent donnée aux indicateurs financiers à court terme au détriment de la durabilité à long terme. Mesurer l'impact social et environnemental réel, au-delà des rapports de durabilité standard, reste un défi complexe pour de nombreuses organisations.
Solutions possibles
Pour surmonter ces défis, il est essentiel de développer une pensée systémique et complexe en formant les leaders et les équipes à percevoir les organisations comme des systèmes vivants et interconnectés, capables d'appréhender la complexité et l'incertitude.
Il est également crucial de cultiver une culture d'apprentissage et d'adaptation, en encourageant l'expérimentation, le droit à l'erreur et l'apprentissage continu. Cela passe par la mise en place de boucles de rétroaction agiles pour ajuster les stratégies en temps réel. Le renforcement du leadership distribué et de l'autonomie est une autre piste, en décentralisant les initiatives et la prise de décision vers les équipes, favorisant ainsi l'engagement et la réactivité, et en inspirant par l'exemple plutôt que par le contrôle.
Il faut aussi investir dans la "posture intérieure", en allant au-delà des outils et des méthodes pour développer la capacité des individus à naviguer dans la complexité avec agilité et sérénité. L'intégration de la durabilité au cœur de la stratégie est une nécessité, faisant des ODD non pas une simple annexe de la RSE, mais le socle de la stratégie et des opérations, mesurant l'impact au-delà du seul profit.
Enfin, il est primordial d'accompagner les processus de deuil en reconnaissant et en soutenant les équipes dans le lâcher-prise des anciennes manières de faire, des succès passés ou des structures idéalisées pour permettre une véritable renaissance.